Le soir, dans une petite rue de Paris, une taverne quelconque ; Eusebio ne livre d'ordinaire jamais aussi tard, mais il a eu du mal à trouver l'adresse, et on le fait maintenant poireauter dans la grande salle, pendant qu'on part chercher le patron. Le paysan apporte une simple caisse de légumes pour les cuisines, il est plutôt gêné et mal à l'aise dans l'ambiance paillarde du lieu. Beaucoup de bruit et de monde, peu de lumière.
Alors qu'il s'impatiente, planté à côté du comptoir, un soudard le percute en réalisant une petite danse, encouragé par ses compères. A son tour, le géant vient cogner l'épaule de son voisin, et un verre se renverse. D'abord irrité contre l'ivrogne, qu'il repousse sans ménagement, le jeune loup se retourne ensuite vers le chien à côté de lui.
- Désolé, messire, je n'ai pas encore de quoi vous payer un verre pour remplacer celui-ci...
Dégageant sans peines quelques soudards sur son passage, Eusebio gagna la sortie et se rua sur les pavés, percevant l'adversaire qui se relevait dans son dos. Pas question de rester dans ce bouge un instant de plus, même s'il devait passer pour un lâche. A grandes foulées, ignorant les quelques regards interloqués ou vaseux que la population du coin lui lançait, il ne put que percevoir le cri du grand roux, qui avait a priori renoncé à le poursuivre.
" Aucun combat ne vaut la peine que l'on s'batte gamin ! Si c'est simplement la vie elle-même ! "
Freinant des quatre fers, à bonne distance de la taverne, le paysan se retourna une dernière fois ; il ne distinguait qu'une vague silhouette rouge dans la faible lueur que laissaient filtrer les carreaux encrassés, debout à côté de la porte. La vie... méditant un court instant sur ces dernières paroles, conclusion de leur rencontre mouvementée, le géant ne tarda pas à reprendre sa course, désireux de rentrer au plus vite pour oublier cette désastreuse soirée. Bien malgré lui, les paroles du chien continuaient de tourner dans sa tête, et lui perturbèrent les idées une bonne partie de la nuit.