Le jour perçait doucement entre les hauts toits parisiens tandis que des nuées de pigeons et d’étourneaux, virevoltant entre les tours de la cathédrale, réveillaient les habitants encore endormis de leurs cris stridents. Alors que les citoyens de Paris reprenaient possession des rues pavées et que la vie reprenait son cours après une nuit paisible, deux étranges énergumènes s’étaient frayé un chemin jusqu’au majestueux Manoir des Longroy. Vêtus d’habits simples, peu habituels mais pas assez pour se faire remarquer, ils avaient traversé la foule en étant sûrement pris pour de simples étrangers en visite par les passants. Pourtant, ce n’était plus qu’une question de temps avant que tous aie constamment leurs noms dans la bouche…
Enfin, les deux compères parvinrent à leur destination, et s’arrêtèrent devant l’impressionnant Manoir. L’immense bâtisse s’élevait fièrement, projetant son ombre gigantesque sur leurs silhouettes canines. Le plus haut sur patte, un podenco à la pelisse blanche et rousse tourna la tête vers la jolie chienne qui l’accompagnait.
« Nous y sommes. » lança-t-il de sa voix toujours douce et calme. Le dénommé Clovis s’avança et poussa les imposantes portes, puis pénétra dans la demeure qui l’avait vu grandir, incitant sa compagne à faire de même par un discret signe de tête. Là, une suivante de la noble famille accourut, alertée par l’arrivée incongrue de deux inconnus. Un sourire étira les babines du Rusé, qui salua la servante avec respect avant de lui ordonner :
« Va prévenir Dame Yolande que son fils est de retour. »
Surprise, la petite chienne obéit et bien vite, la nouvelle se rependit dans la demeure que l’enfant terrible mais aussi fils prodige des Longroy était revenu en ville. « Ne t’en fais pas, je te présenterai comme il se doit. » murmura-t-il tout bas à l’oreille de sa bien aimée tandis que les premiers chiens les rejoignaient. Der Schlau était toujours constamment attentif et soucieux du bien être de sa fiancée, et il ne voulait pas que quiconque soit mal à l’aise aujourd’hui.
Après tout, de telles retrouvailles n’arrivaient pas tous les jours.
Yselde, plongée dans la réalisation d'un croquis de moignon, ne leva pas tout de suite la tête. Certes, on l'appelait, mais sa concentration la coupait encore trop du reste du monde pour répondre immédiatement.
En deux ou trois habiles coups de fusain, elle ajouta quelques ombres à l'esquisse, dont le réalisme acheva de devenir repoussant. C'était une amputation mal soignée, mal désinfectée, autour de laquelle on pouvait discerner la peau abîmée comme un fruit trop mûr.
Tout tombait en lambeaux, pourrissait et gangrénait. Pour peu, on aurait pu se laisser prendre à la gorge par des effluves de chair.
- Ma Dame?
La chienne couva le dessin d'un dernier regard satisfait, et releva la tête en refermant son carnet d'un coup sec.
- Oui ? Le ton était légèrement agacé.
À peine le nom de Clovis fut-il prononcé, que la jeune de Longroy avait fourré son matériel dans sa besace, jeté celle-ci autour de son cou et sauté sur ses pattes. Sans laisser à la servante le temps de finir sa phrase, elle la dépassa d'un trot allègre et disparut derrière la porte de son boudoir.
Avec l'impression de flotter au dessus du parquet, portée par un doux espoir, Yselde entreprit d'égrainer mentalement les secondes durant son trajet. Le décompte s'arrêta en bas d'un escalier de marbre, mais elle continua d'avancer. Désormais, elle courait presque vers l'entrée du manoir; avant d'y arriver, elle eut le temps de conclure que décidément, on était beaucoup plus rapide avec sa tenue de toile presque paysanne, qui aurait fait scandale si elle l'avait portée publiquement, qu'avec ces horribles choucroutes de soie colorées, tellement vantées et appréciées. Que la société était mal faite. La silhouette svelte ralentit, passa du galop au trot, du trot au pas, hésita un peu, puis s'introduit dans l'immense hall. Le regard bleu de la Dame reconnut Clovis dans la seconde : son visage se mit à rayonner. Un sourire jusqu'aux oreilles, les yeux pétillants, Yselde s'élança vers son frère.
- Clovis !
Elle s'apprêtait à l'embrasser lorsqu'elle remarqua la voyageuse qui accompagnait l'héritier des de Longroy. Légèrement surprise, elle recula d'un pas.
- Ma Dame... Un peu désarçonnée par cette présence, et surtout par son évident statut, la noble canidée se reprit aussitôt et esquissa une révérence, presque à contrecoeur. Yselde de Longroy, soeur de Clovis. poursuivit-t-elle en redressant la tête. Qui était donc cette étrangère, à part la présumée compagne du nouveau venu?
Mélisandre était cloitrée dans sa chambre. Elle s'était réveillée très tôt, comme à son habitude et avait, sans même penser à déjeuner, fourrer la truffe dans un de ses livres. Celui-ci était un recueil de contes, humant l'odeur des vielles pages, ses deux pattes posées de chaque côté de l'ouvrage, elle était plongée dans sa lecture.
Elle détestait qu'on la dérange. Pourtant, lorsque l'on vint frapper à sa porte pour venir l'avertir du retour de son frère, elle ne ressentit pas l'agacement habituel. Sautant de son fauteuil, elle bouscula la servant qui l'avait importunée pour courir à travers le grand Manoir.
Elle n'avait, pour ainsi dire, aucun souvenir de Clovis. Elle ne connaissait de lui que ce qu'on lui avait raconter puisque lors de son départ elle était encore toute petite. Mais c'était sa curiosité naturelle qui l'emporta à courir dans les couloirs, quitte à s'essouffler.
Elle s'arrêta au milieu du hall, haletante. La tête basse, son poids ne lui permettait pas une superbe endurance, le manque d'exercice n'aidant pas. Elle leva les yeux sur les membres de sa famille déjà présent. Aénor remuait la queue comme une gamine, face à un chien. C'est lui ? Se demanda la petite qui n'osa pas approcher.
Il était grand et rouquin. Il avait la grâce naturelle des de Longroy, c'était certain. La petite posa en suite ses yeux sur l'autre chienne et émit un léger grognement. Qui était-elle ? Elle semblait être une dame, mais rien qu'à la voir, Mélisandre ne la sentait pas. Aussi, elle resta en retrait et ne s'approcha pas, observant de loin les retrouvailles des jumeaux.
Clovis... son jumeau était de retour ! Du moins c'est ce que la rumeur se propageant dans le Manoir racontait. Sautant à bas de son lit, la jeune chienne enfila rapidement le foulard que son cher Clovis lui avait offert il y a bien longtemps et qu'elle ne quittait jamais, brossa en vitesse ses poils rebelles et se rua dans le couloir, son petit coeur battant à tout rompre. Elle avait tant attendue ce moment... depuis qu'ils avaient été séparé, elle s'était imaginé son retour de mille et une façon. Mais elle ne s'attendait pas à cette tournure...
Trottinant de son pas allongé, Aénor ne mit pas longtemps à rejoindre le hall d'entré où attendaient deux chiens. La jeune Blonde reconnut son frère immédiatement. Elle aurait voulu japper de joie, se jeter sur lui pour lui faire quelques léchouilles affectueuses mais elle n'en fit rien. Seule sa queue battait l'air énergétiquement.
- Clovis, je suis ravie de te revoir...
Sa voix était devenue celle d'une Dame. Lorsqu'il était parti en Allemagne ils n'étaient que de jeunes chiens. Aujourd'hui, lui avait la prestance d'un roi et elle d'une grande Dame. Puis son attention fut attirée par la chienne se trouvant à ses côtés. Elle lui offrit un sourire aimable et la salua à son tour en baissant la tête. Les présentations seraient pour un peu plus tard, elle était la première sur les lieux...
Ariette en aurait presque redouté les présentation du moins si elles lui avaient tant tenu à coeur. Elle qui d'habitude avait du mal à s'entendre avec les autres chiennes et se contentait de porter cette inéfaçable sourire mielleux sur ses babines sentait qu'ici elle n'aurait pas besoin de tant de cérémonie et elle laisserait son charmant fiancé le soin de s'occuper de toutes les fioritures. La blonde avait d'abord jeté un coup d'oeil à l'impressionante façade du manoir; Les Longroy étaient bien les dignes héritiers de Lubin, du moins dans leur goûts décoratifs on reconnaissait une pointe de royauté, les symboles de leur heritage étaient facilement retrouvable ici et là.
Au moment de pénetrer dans l'immense batiment, Clovis l'avait rassuré: Il saurait faire de parfaites présentations et elle n'en doutait. Il était minitieux et suffisament intelligent pour acorder une grande importance à ce genre de chose.
- Bien évidemment, je n'en attend pas moins de toi. Avait-elle répondu à voix basse à l'intention de la remarque de son fiancé. Comme imperturbable, elle n'avait pas pris la peine de se tourner en direction de ce dernier, trop concentrée sur le moment à venir Ariette fixait le fond du coridore, esperant y voir arriver la famille tant attendue.