Assis sur un beau fauteuil de velours, Sa Grâce patientait, les pattes tranquillement croisées sur sa robe d'Archidiacre. Depuis l'incident avec le Prophète, il s'était débarrassé de la plupart de ses habits trop cossus, pour n'arborer que des parures de bon tissu, mais plutôt simples, ne conservant que sa chaîne et sa croix d'argent. Il se sentait bien mieux ainsi, quoi qu'en disent Melchior ou les autres évêques furieux de sa décision.
Clotaire attendait la venue d'un membre de la famille de Longroy, dont il était venu en personne prendre des nouvelles ; il s'inquiétait tout autant de l'état de santé du chef de famille, Milet, que de la récupération des autres membres, notamment dame Yolande. Ses mots avaient vivement impressionné le barzoï, qui serait ravi de pouvoir la rencontrer pour de bon, mais on l'avait prévenu en l'introduisant dans le manoir qu'elle était absente. Le clergydog était donc bien curieux de découvrir avec qui il allait s'entretenir aujourd'hui.
L'entrevue touchait à sa fin. Il était temps que les deux chiens se séparent pour continuer leurs tâches. La chienne baissa légèrement la tête pour remercier l'Archidiacre de sa reconnaissance. Aénor avait été ravie de rencontrer le barzoï et espérait sincèrement le rencontrer à nouveau. Sa présence était des plus agréables...
- Mais je vous en prie. Je n'oublierais pas soyez en certain. J'espère vous recroiser bientôt et surtout revenez ici quand vous le souhaitez, la bibliothèque est ouverte à tous !
La blonde lui sourit et le raccompagna jusqu'à la porte avant de le saluer une dernière. Oui, cela avait été une très belle rencontre.
Hochant lentement la tête aux paroles de la noble demoiselle, l'Archidiacre finit par décrocher son regard des parchemins et volumes précieux qui semblaient se multiplier sous ses yeux. L'invitation a fréquenter la bibliothèque de la famille fut accueillie avec un sourire, même si Clotaire doutait de revenir trop souvent ; il avait après tout d'autres tâches, et ne souhaitait guère passer pour un parasite aux yeux des de Longroy. - C'est important, en effet. Vous avez raison. Ils avaient raison depuis le début, réalisa-t-il, malgré les médisances d'hérésie proférées par les Montdargue. Mais cette éducation devait être accessible à tous, donc même aux plus pauvres et aux bohémiens, sans répandre une pensée unique, sans quoi tout cela serait vain... Revenant aux côtés de sa guide avec un air poli d'enfant raisonnable, le barzoï jeta un dernier regard à l'imposante pièce. - Je vous suis extrêmement reconnaissant de m'avoir accordé cet entretien et cette visite, demoiselle Aénor. Je ne vais pas abuser de votre temps, mais je compte sur vous pour transmettre tous mes vœux de bon rétablissement à votre famille !
Aénor regardait l'Archidiacre avec un sourire amusé. Ce dernier ne savait plus où donner de la tête devant les rayons remplis de manuscrits.
- Pas à ma connaissance non. Mais à mon humble avis il faudrait plusieurs vie pour y parvenir...
Elle-même n'avait lu qu'une centaine de livres sur les milliers qui envahissaient la bibliothèque... et pourtant, elle aimait s'instruire.
- La bibliothèque est ouverte à quiconque veut y venir. Si l'envie vous prend de revenir ici surtout n'hésitez pas. Tout est à votre disposition. Il est important que tous puissent apprendre et découvrir le monde dans lequel ils vivent.
Elle sourit à l'Archidiacre, certaine que l'éducation pourrait sauver la ville de l'horreur dans laquelle ils avaient sombré. Après tout pour que l'Inquisition soit présente, il fallait vraiment que des idiots existent pour avoir ne serait-ce que voulu la créer.
Égayé à l'idée de pénétrer dans ce lieu fantasmé, l'Archidiacre offrit un sourire à sa noble accompagnatrice, qui perdura jusqu'à ce qu'il franchisse les hautes portes de la bibliothèque. Il se trouva alors bouche bée devant l'étendue de rayonnages foisonnants, offrant à sa vue tellement de couvertures et de dos qu'il ne savait où poser les yeux. Il lui fallut quelques instants pour retrouver ses esprits et son attitude cléricale, mais il avait toujours la prunelle brillante et grande ouverte.
- Eh bien, si je m'attendais à un tel spectacle ! Quel endroit incroyable !
Poussé par une curiosité enfantine, le barzoï s'approcha d'un rayon et parcourut quelques titres, à la fois attiré et perdu face à tant de choix. Sûr et certain que les hauts prélats du canisthicisme - surtout l'Inquisition - y trouveraient à redire, mais Clotaire était enchanté de tant de possibles découvertes sur le monde qui les entourait.
- Quelqu'un a-t-il réussi à lire l'ensemble de ces ouvrages ??
Toujours affairé à regarder ce qui remplissait les étagères, le jeune chien arborait un sourire absent et un brin amusé.
Les deux chiens marchaient d'un pas tranquille dans les jardins, appréciant l'atmosphère calme qui les entourait. On aurait presque pu croire qu'il ne s'était rien passé quelques jours plus tôt.
- Et bien voilà que vous aurez rencontré une de Longroy aujourd'hui et visité la bibliothèque le même jour ! J'espère que vous y trouverez votre bonheur, les livres qui s'y trouvent viennent de tous les horizons.
Leur bibliothèque était d'une grande richesse, allant de simples manuscrits à des livres très anciens. Il y en avait pour tout le monde.
Arrivant devant le grand bâtiment, la jeune chienne poussa les lourdes portes avant de pénétrer à l'intérieur, le barzoï sur ses traces. Là, elle salua le chien qui s'occupait de ce lieu d'instruction puis s'éloigna quelque pas de Sa Grâce pour lui laisser le temps d'admirer l'intérieur. Tout le monde était le bienvenu ici. Il pourrait y remettre les pattes quand il le souhaiterait.
L'avis de la demoiselle de Longroy sur les choix de Clotaire n'étonnait guère celui-ci, qui devinait déjà, du fait de la position de Yolande lors des derniers événements, que cette famille serait certainement sa plus grande alliée. Le barzoï tiqua légèrement lorsqu'Aénor déclara qu'un peu de changement ne tuerait personne, mais ses grands yeux retrouvèrent bien vite leur douceur accoutumée tandis qu'il terminait sa tasse de thé. Rien n'était aussi sûr de son côté ; la controverse grondait régulièrement au presbytère, et il était d'ailleurs bien étonné que personne ne soit encore venu le disputer sur son choix. Il ne faisait cependant aucun doute que cette scène ne tarderait pas, à moins qu'il soit discrètement évincé avant...
Les paroles de soutien et le sourire sincère de l'aînée de Longroy lui remirent un peu de baume au cœur, et reposant délicatement sa tasse sur le guéridon, l'Archidiacre se trouva enchanté de la proposition.
- Avec grand plaisir, je vous remercie ! Quittant son siège, il vint se placer aux côtés de la chienne blonde pour l'accompagner dans les jardins. La vue de ceux-ci le ravit, la famille avait décidément beaucoup de goût dans la tenue de ses biens. Votre manoir et ses jardins sont splendides ! J'ai toujours souhaité pouvoir me rendre ici pour rencontrer votre famille, mais je dois vous l'avouer, je ne pouvais m'empêcher de penser à votre bibliothèque.
Le barzoï adressa un sourire amusé et complice à sa voisine, puis porta son regard brillant sur les alentours, se délectant de la beauté et de la paix qui régnaient en ces lieux.
Aénor inclina la tête pour remercier les paroles de l’Archidiacre. Ce dernier s’inquiétait sincèrement pour sa famille et cela la touchait profondément.
- Je trouve que ce serait une très bonne idée ! Cela permettrait de rassurer le peuple…
Beaucoup de boutiques avaient été brûlées, dont celle de sa mère Yolande. Mais ils s’en remettraient. Par contre, ceux qui n’avaient que les revenus de leur boutique pour vivre… elle ne savait pas comment ils allaient pouvoir affronter la réalité.
- Et bien moi j’approuve la direction du navire. Un peu de changement dans les mœurs ne tuera personne. Et il faut avancer. Nous ne pouvons plus vivre dans la crainte d’être traité de sorciers pour une différence. Aujourd’hui nous sommes tous les mêmes : des enfants du Créateur.
Les yeux de la jeune chienne brillaient presque de colère. Elle repensait à l’Inquisition, ceux qui faisaient tant de mal dans la ville et qui effrayaient le peuple. Cela allait changé et elle avait hâte.
Les paroles qui s’ensuivirent ne firent que conforter Aénor dans son opinion. Qui aurait cru qu’elle serait sur la même longueur d’onde qu’un chien aussi croyant… En tout cas pas elle.
- Et vous avez raison. Notre famille sera là pour vous soutenir dans vos choix j’en suis certaine.
Elle lui offrit un vrai sourire, contente de voir qu’ils s’entendaient bien et puisqu’elle appréciait sa compagnie et qu’elle avait terminée d’exécuter ses tâches pour la journée, elle décida de l’emmener à la bibliothèque de leur famille en passant par les jardins.
- M’accompagnerez-vous jusqu’à la bibliothèque familiale Vôtre Grâce ? Je pense que la balade vous plaira.
Se relevant, la demoiselle sourit et attendit la réponse du barzoï.
Écoutant avec attention les nouvelles de la santé de Milet de Longroy, L'Archidiacre hocha la tête lentement, rassuré de n'entendre que du positif. Il était certain qu'après une journée comme celle-ci, il lui faudrait du temps pour se remettre totalement, mais pour quelqu'un qui avait été déclaré mort, il s'en tirait tout de même très bien.
- Je suis soulagé d'entendre ceci. Il doit avoir hâte de réintégrer son foyer. Je prierai pour qu'il recouvre rapidement des forces et que votre famille puisse être réunie.
C'était dit très simplement, et il espérait ne pas déranger l'aînée des Longroy avec sa mention à la religion canisthique ; c'était cependant son rôle de veiller sur le bien-être de ses ouailles, même les plus éloignées de la foi. Ils en avaient tous appris la leçon dernièrement, Clotaire plus que quiconque, et désormais il se faisait fort de ne plus éloigner qui que ce soit de ses prières. Tout le monde méritait la miséricorde du Très-Haut.
Le barzoï fut enchanté de recevoir les remerciements d'Aénor, heureux de ne pas être le seul à penser que le rapprochement des classes et des âmes pouvait sauver Paris.
- Oh, je l'espère également, même si je dois avouer que je ne peux m'empêcher de craindre l'idée d'un nouveau cataclysme ! Sa Grâce rit poliment, puis sirota son thé. A la prochaine occasion, j'aimerais réitérer l'événement, aujourd'hui plus que jamais cela semble nécessaire.
Un plateau de gâteaux était posé sur un guéridon à côté de lui, et cédant au péché de gourmandise, l'Archidiacre piocha dans la pile, grignotant tranquillement la douceur tandis qu'il reposait ses yeux noisette sur son hôtesse. Son sourire se fit un brin plus amer, mais il tâcha de se montrer positif.
- Eh bien... Il ne s'attendait guère à recevoir une question comme celle-ci et chercha un instant ses mots. La situation a changé, c'est certain. En plus de ceux qui ne voyaient pas d'un bon œil mon accession à la tête de l’Église, il y a maintenant ceux qui se désapprouvent totalement mon choix vis-à-vis du Prophète. Par crainte du démon ou de l'obscurantisme, mais également parce qu'ils sentent que le vent tourne, et ils n'aiment pas la direction vers laquelle celui-ci pousse notre navire.
Pensif, Clotaire s'octroya une nouvelle gorgée du breuvage chaud, méditant sur son envie de partager certaines choses avec la demoiselle de Longroy. Après tout, Yolande avait clairement affirmé sa position sur le sujet, son aînée devait penser dans la suite de sa mère, pouvait-il supposer. Se penchant légèrement, il reprit sur le ton de la confidence amusée.
- C'est en plus le rapprochement avec le petit peuple, surtout avec les bohémiens qui ne leur plait guère. J'ai trop longtemps accepté que l'on me voile le regard à ce sujet, mais depuis la venue du Prophète, je suis au moins sûr de ceci : je suis fermement décidé à rester sur ma position, nous sommes tous enfants du Créateur, et nos pensées ou nos modes de vie ne doivent en rien justifier toutes ces souffrances.
Même si cela devait lui coûter l'amitié de Melchior et la reconnaissance de ses pairs, il n'en démordrait pas. Le barzoï espérait qu'un jour il pourrait leur faire changer d'avis.
L'Archidiacre lui assura qu'il n'était pas du tout ennuyé de la situation dans laquelle ils étaient et la jolie chienne s'empressa de s'asseoir en face de lui une fois les salutations faites. On ne pouvait pas dire que l'aînée des de Longroy était une paroissienne très assidue, ce qui la gênait grandement mais elle n'en laissa rien paraître.
La domestique revint vite avec le chariot à thé puis elle servit d'abord une tasse à Clotaire puis une autre à la fille de Yolande qui répondit au grand chien tandis que ce dernier buvait une lampée de sa boisson chaude.
- Milet va mieux, merci de vous en soucier. Il est toujours à l'hôpital cependant, il n'est pas encore assez fort pour revenir habiter parmi nous. Le choc qu'il a du subir...
Certains disaient que le Prophète l'avait fait revenir d'entre les morts... Aénor n'y croyait pas une seule seconde. Certes cet inconnu avait très certainement pu bluffer l'immensité de la foule... mais de là à avoir des pouvoirs. Elle était une femme de sciences, ces choses là étaient explicables par des faits réels elle en était certaine.
- En tout cas, malgré la tournure qu'à pris cette journée, je voulais vous remercier pour avoir organisé cette fête. Réunir ainsi les gens de la ville et ceux des faubourgs, j'ai trouvé que c'était une très bonne idée. J'espère que nous aurons l'occasion de le faire à nouveau !
Elle lui offrit un sourire sincère puis commença à s'inquiéter quelque peu pour le chien du Créateur. Que pensait l'Eglise de sa décision ?
- Et vous Vôtre Grâce ? L'Eglise n'a pas du accepter votre choix comme vous le souhaitiez... cependant, tout va bien pour vous ?
Elle espérait sincèrement qu'il n'avait pas été chassé comme un mal propre.
Une grande et fort belle chienne blonde fit son apparition dans le salon, tirant l'Archidiacre de ses rêveries. Affublé de son sourire placide, le barzoï se leva, inclinant poliment la tête aux salutation de son hôtesse. Il esquissa un geste de la patte pour balayer les craintes de la demoiselle, secouant légèrement la tête.
- Non bien sûr, je ne suis pas du tout ennuyé. La faute m'en incombe en partie, je me suis présenté sur un coup de tête, j'aurais dû prévenir avant.
Posant la patte sur sa poitrine, il s'inclina de nouveau, plus profondément.
- Enchanté de faire votre connaissance, dame Aénor. Comme vous devez vous en douter, je suis venu prendre des nouvelles de votre famille, après les derniers événements. Avez-vous appris quelque chose de nouveau au sujet de votre père ?
Se rasseyant en lissant ses robes, Clotaire accueillit avec un sourire la tasse de thé qui lui tendait la domestique revenue dans la pièce. Plongeant ses babines dans le breuvage chaud, il posa ses prunelles noisette sur Aénor, attendant sa réponse.
- Dame Aénor, l'Archidiacre attend dans le petit salon.
Ainsi, c'était lui l'étranger qui avait sonné à la porte du manoir des de Longroy. Se hâtant, la grande chienne blonde remit un peu d'ordre dans ses jupons. Elle revenait à l'instant des écuries où elle s'était rendue pour s'assurer que les bêtes avaient eu leur ration du jour... et sa mère, la grande et belle Yolande avait quitté tôt la maison ce matin, pour remettre un peu d'ordre dans sa vie qui avait été bouleversée par l'arrivée du Prophète.
D'un coup de tête elle remercia le domestique et partit rejoindre son invité. Milet étant toujours à l'hôpital à reprendre des forces et Yolande absente, l'aînée devenait la maîtresse de maison et se devait donc d'accueillir l'homme du Créateur.
- Vôtre Grâce...
Le salua-t-elle en entrant dans le petit salon. Elle lui offrit également un sourire et jeta un coup d'oeil tout en faisant un mouvement de tête à la servante afin qu'on leur apporte du thé.
- On m'a dit que vous vouliez rencontrer ma mère, Dame Yolande... Malheureusement, en son absence et celle de mon père Milet, vous devrez vous contenter de ma personne. J'espère que cela ne vous ennuie pas ? Je suis Aénor, l'aînée des enfants de Longroy.